POÈME: BALLADE À MON VILLAGE

BALLADE À MON VILLAGE

Je suis un millénaire, tu me connais à peine,
Depuis longtemps déjà, j’ai servi tes grands rois ;
Tes aïeux ont foulé le sol de leurs reines,
Et tes parents connaissent les secrets de ces croix.

J’étais heureux aussi dans ton premier printemps,
Quand ton père s’accroupit pour te tendre les bras.
Tes premiers pas étaient très longtemps hésitants,
Car le son de tes marches résonnaient jusqu’à  moi.

Je ne vais pas, enfant, te raconter ta vie ;
Je la connais de trop depuis ta tendre enfance.
Je voudrai simplement te donner une envie
De connaître mon âme et toutes ses confidences.

Ma surface est petite mais mon cœur est bien grand ;
J’adorais tes grands-pères et tes arrières cousins
Qui, chaque soir, en chantant des airs enivrants,
Récitaient des poèmes à leurs joyeux voisins.

À l’ombre des figuiers et des eucalyptus,
Les rois, tes grands aïeux, aimaient les troubadours
Qui amusaient la foule sous les grands hibiscus,
Tout en complimentant ces sires et leurs bravoures.

Sais-tu que le seigneur Andriamanambahoaka
Encourageait mon peuple à soigner leur labour ?
Les guerriers du village repoussaient les attaques
Des roitelets voisins vivant dans mes faubourgs ?
 
Tu ignorais aussi que, n’étant pas vulgaires,
D’autres princes charitables m’ont élu résidence.
Ils étaient dix ou vingt, fatigués de la guerre,
À venir sous mon ombre passer de belles vacances.

Cette place étant publique, la foule se pressait
Pour écouter les nobles parler en paraboles ;
Les hommes étaient coiffés d’un grand chapeau tressé,
Les femmes avaient leur lamba jeté sur les épaules.

Ces portails aux pierres rondes étaient mes forteresses,
Car elles barraient la route à tous les provocants.
Ce fossé qui m’entoure était une traîtresse :
Elle servait d’embuscade contre les attaquants.

Ce Rova majestueux ou bien ce grand tombeau 
Faisait mon grand honneur aux enterrements royaux.
En chantant, les esclaves allumaient les flambeaux
Avant de commencer les rites sépulcraux.

Ici, sous ce figuier, aux fraîcheurs des soirées,
Un prince et une princesse étaient deux tourtereaux.
Ils s’enlaçaient, timides, et aimaient soupirer
Lorsque, dans les feuillages, chantaient les passereaux.

Tu vois toutes ces rizières où reflète le couchant,
Toutes ces collines remplies de joyeux paysans,
Ces zébus tout meuglant, ces parfums alléchants :
Tes aïeux contemplaient ce tableau séduisant.

J’aurai voulu encore t’emmener, enivré,
Visiter ton grand-père, l’aïeul de ton village.
Il se fait tard, hélas; les étoiles ranimées
Te feront deviner les charmes de mon âge.

Rentre donc au bercail, écoute mon message :
Rêve de ton village et de ton beau pays.
Fiakarana est mon nom, et je n’ai qu’un visage ;
Aime Madagascar et jamais ne l’oublie.

Fiakarana , le 16 octobre 1967

Rocky A. Harry Rabaraona (Les Surfs)
"Symphonie d'une âme"01--Village-de-Fiakarana.jpg

 

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